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L’EXODE

Le souper fini, on ne put se retenir d’aller faire un petit tour à la cuisine.

On y trouva l’un des Allemands, gros et barbu, accoudé sur le barreau du poêle et fumant une courte pipe de porcelaine, tandis que l’autre poussait à Gertrude une photographie en travers de la table. Plus jeune, le crânp rasé, le visage poupin, il semblait moins indifférent que l’autre aux charmes rustiques de la cuisinière.

À la vue de leur hôte, ils se levèrent, portant la main au niveau de l’oreille.

— Gutten abend ! aventura Sylvain.

Puis, pour se donner contenance, il s’approcha de la photographie. On y voyait une paysanne avec deux enfants à ses côtés, un autre sur les bras et portant les promesses d’un quatrième.

— Deine kinderen und frau ? demanda le médecin, qui ne savait au juste s’il parlait allemand.

— Ya woll, fit l’homme à tête ronde, avec un sourire mouillé, die ganze familie.

Cependant, le gros barbu examinait Philippe. Comme un Daniel dans la fosse aux lions, l’écrivain, circonspect, se tenait immobile, mais l’on s’apercevait de son inquiétude à la mobilité de ses regards. Pour le rassurer, sans doute, l’homme à la pipe fit sortir de sa barbe une longue phrase, qu’il ponctua de bouffées de tabac. Philippe comprit au passage les mots freunde et krieg.

Mais le sens lui devint clair, lorsque l’Allemand leva