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L’EXODE

rouge, et une odeur insoutenable s’exhalait de ces martyrs, dont les chairs en bouillie collaient à des loques crasseuses.

Un territorial, que Philippe reconnut, se promenait entre les deux rangs de blessés, le manteau sur une épaule et pressant de la main son moignon de bras gauche, rapidement charcuté au poste de secours. Philippe se le rappelait, la cigarette aux lèvres, joyeusement goguenard, lors du souper des soixante hommes.

À présent, il souffrait à ne pouvoir tenir en place. Il marchait le long en large, et, protégeant son moignon, il répétait à voix basse une plainte monotone :

— Oh la la ! Faut-y, bon Dieu, faut-y ? Malheur de malheur ! Bon Dieu, faut-y ?

Parfois, au milieu de ses gémissements, une lueur de conscience traversait son âme obscure :

— Pourquoi donc que c’est moi qui dois souffrir ainsi ?

Mais il avait trop mal pour y réfléchir. Et il reprenait sa litanie de misère :

— Bon Dieu, faut-y ? Malheur de malheur !

Dans un coin, les fusils, les capotes, les souliers, les képis étaient jetés en un tas, que Philippe triait, écœuré par la puanteur de ces guenilles.

— C’est cela la guerre, pensait-il, des loques sanglantes et de pauvres diables qui crèvent dans leurs excréments.

Ah ! le territorial au moignon sanglant n’avait de la