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TROISIÈME PARTIE

sable de la côte. C’étaient des soldats, essayant des mitrailleuses, qui tiraient à l’aveugle sur l’étendue de la mer…

Et le supplice du voyage recommença. De nouveau, les heures se passèrent dans une angoisse qui accablait jusqu’à la défaillance. Au fond du rouf d’arrière, Marthe, Lysette et Mme Forestier, couchées à plat sur le lit du marinier, avaient perdu le sentiment de la réalité. Dans la cale, sur un monceau de cordages, Bernard fermait les yeux, pour ne plus voir autour de lui les femmes aux cheveux déroulés et ruisselants qui, dans l’eau jusqu’aux genoux, s’accrochaient désespérément à des anneaux de fer, à des paniers, à la poutre des filets de pêche, les hommes, hagards, nu-tête, sous l’éclaboussement des vagues, les enfants, accroupis sous une voile, tous ces rasages de misère et de terreur…

Enfin, vers le soir, un soleil rouge apparut à l’horizon. Bientôt, les grosses lames s’allongèrent, le vent hurla moins fort, et le bateau, secoué tout le jour, glissa dans un clapotement monotone qui endormit l’âme épuisée des fugitifs. On était en vue de Calais.

Au loin, le feu tournant d’un phare semblait chercher le canot sur l’infini des flots. On aperçut des clartés, puis un scintillement de réverbères. On passa, devant la masse énorme d’un navire, sur les calmes ondulations d’un port… Des gens coururent le long de la jetée ; une corde tomba sur la barque qui bientôt s’arrêta. On était à Calais !