Page:Torcy (Blieck) - L'exode, 1919.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
67
DEUXIÈME PARTIE

il la sentait vivre dans son cœur, qui se gonflait au souvenir des années de jeunesse à Ypres, du temps de l’amour dans les bruyères de la Campine, des jours heureux à Bruxelles, dont chaque rue, pour lui, était pavée des images de sa vie.

Et il regardait la ville avec des yeux nouveaux, comme on regarde un être cher que l’on a pensé perdre. Il constatait chez les autres passants la même joie, les mêmes soupirs de délivrance. Chacun éprouvait le besoin de sortir de sa maison, de se mêler à la foule, de n’être pas seul dans l’allégresse, tant on avait été solidaires à l’heure toute récente du danger.

Les journaux, comme des papillons blancs, ouvraient partout des ailes, dont les bords tremblaient à la brise.

On s’arrêtait pour les lire, les bras écartés. Ci et là, on se groupait autour d’un lecteur :

— C’est donc vrai ?

— Officiel ! vous dis-je.

Mais on n’osait croire à l’étonnante nouvelle ; on voulait toucher du regard, s’imprimer dans les yeux la déclaration du ministre d’Allemagne…

Au Cercle Artistique, où il espérait rencontrer son beau-frère, il ne trouva que des tableaux décrochés. Un domestique en escarpins, mollets blancs et galons d’or, lui fit connaître que M. Sauvelain venait de partir.

Philippe s’arrêta quelques moments à contempler les tableaux du peintre, qui, enfin, s’élevait au premier rang, après un demi-siècle de luttes héroïques où les