Page:Touchatout - Le Trombinoscope, Volume 3, 1873.djvu/85

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et des passe-lacets. Avec l’habitude, il parvint assez vite a digérer des objets plus volumineux, et vers l’âge dé dix-huit ans,’un de ses oncles lui ayant fait cadeau d’une montre, il l’avala sans aucune difficulté. Encore cette fois, il paya cher la’ satisfaction de ses‘ appétits gloutons ; la montre ne passa pas tout droit, elle parcourut d’abord différents organes qu’elle lésa assez cruellement, parut ensuite vouloir siobstiner a sortir . parle nez, puis revint dans l’estomac et se fixa enfinala hauteur de la troisième côte droite, entre cuir et’chair, où elle est encore. — ;—_ L’homme a la fourchette a beaucoup souffert de cette montre ; mais aujourd’hui, sa présence sous l’épiderme n’a rien de douloureux, et il est le premier a en’ rire. Quelquefois, en société, on le voit tout à coup déboutonner son gilet, promener doucement sa main, de bas en haut, le long de ses côtes- jusqu’à l’aisselle, en appuyant légère- ’ment comme pour soulever quelque chose. C’est son chrono-— “mètre qui était redescendu et lui faisait une petite pesanteur — gênante près de l’aine. Il le remet tranquillement en place ; et si, surpris de ce manège. on lui demande ce qu’il fait, il ré- pond : a Je remonte ma montre. n ——- Quand vint l’époque du tirage au sort, sa famille ne fut pas sans appréhensions. ll était évident qu’au régiment de pareilles habitudes pouvaient expo- ser l’homme à la fourchette à de sérieux désagréments. —— Hélas !... ces craintes ne furent que trop tôt et trop cruellement justifiées. —— Grâce a une excellente conduite, le jeune soldat avait obtenu un avancement assez rapide ; il était déjà ser- gent—fourrier, lorsqu’un beau soir, la veille d’une inspection générale, il fut repris de son tic fatal et avale sa baïonnette t... Le lendemain, le colonel parcourt les rangs et s’aperçoit de la chose. — Fourrier l... qu’avez—vous fait de votre baïonnette ? — Colonel. je l’ai avalée l.., — Fourrier l... pas de plaisante- ries sous les armes. —— Mon colonel... je vous affirme... — Assez l.., Pouvez-vous me donner la preuve que vous avez bien avalé votre baïonnette ? —— Pour ça, oui,‘mon colonel, ce n’est pas difficile... Tenez... vous venez avec moi a l’infirmerie ; une fois là, mon colonel, vous me faites ch.... ——— Insolent Que l’on envoie ce’t homme devant un conseil de guerre. —- Devant _ le conseil, le pauvre garçon, ne pouvant retrouver sa baïon— nette, fut accusé de l’avoir vendue pour boire. De plus, d’avoir insulté grossièrement son supérieur devant tout le régiment. Il fut condamné a mort. -—- Par bonheur, au moment de l’exécu— tion, la peur lui fit un tel effet que la baïonnette, expulsée vio— ..lemment de son refuge, alla se piquer à. terre a cinq pas derrière lui, a la grande surprise de ses camarades qui allaient le passer par les armes. Tout s’expliqua naturellement, et le colonel comprit alors le véritable sens de la phrase malencon— treuse qui lui avait semblé une ofiense. — En sortant du ser- vice, l’homme à. la fourchette se plaça dans le commerce ; mais son retour a la vie civile n’avait pas modifié ses instincts et il continuait à faire une ample consommation d’objets qui passent