Page:Touchatout - Le Trombinoscope, Volume 3, 1873.djvu/9

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Vaudeville, et revint aux Variétés où commença vraiment sa réputation. — En mai 1847, il débuta au Palais-Royal, qu’il n’a pas quitté depuis. À cette époque, son nez était déjà à l’apogée de sa gloire, et à la révolution de Février, la première pensée des insurgés fut de le réquisitionner pour improviser une barricade au coin de la rue Richelieu. Ils arrêtèrent Hyacinthe, qu’ils traitèrent d’ailleurs avec les plus grands égards, et le firent descendre dans une cave dont le large soupirail donnait sur la rue. On agrandit encore ce soupirail au moyen de quelques coups de pioche, et on fit passer le nez d’Hyacinthe par l’ouverture. Le nez traversa toute la chaussée et on en fixa l’extrémité dans un autre soupirail d’une maison d’en face, ce qui barra la rue d’une façon très-solide. Hyacinthe resta stoïquement dans cette position pendant quarante-huit heures. Sur cette balustrade vivante les insurgés avaient tracé au charbon les inscriptions démocratiques de rigueur : Vive la République ! Liberté, Egalite, Fraternité. Du travail ou du plomb. — Heureusement la barricade ne fut point attaquée, car les insurgés parlaient déjà de planter des drapeaux dessus ; et, de sa cave, Hyacinthe voyait préparer la hache avec laquelle on se proposait de tailler des créneaux de deux en deux mètres dans son nez. — Au nombre des nombreuses créations qui, toutes, ont été des succès pour le sympathique artiste, nous citerons : Le Tigre du Bengale, Le Sourd, La Sensitive, Le Réveillon.— Contrairement à ce que se sont plu à répéter beaucoup de gens, tout le mérite de Hyacinthe n’est pas dans cette excentricité de son physique. Il possédé de réelles qualités de comédien : de l’esprit beaucoup, une grande bonhomie malicieuse et un flegme à lire les articles de Paul de Cassagnac sans rire. — Une plaisanterie qu’il fait de temps en temps, quand il est en scène, c’est de s’avancer tout près de la cabane du souffleur et de plonger une partie des fauteuils d’orchestre dans l’obscurité en étendant son nez entre le parterre et le lustre. Cela produit toujours un désarroi très-amusant. Les spectateurs s’imaginent _ que le gaz manque tout à coup, et quelques-uns en profitent pour pincer les femmes. Au physique, Hyacinthe est un homme d’assez haute taille. Il se tient droit et lier, et a dans l’œil quelque chose de vainqueur et de donjuanesque qui n’est pas sans charme. — Très-remuant et très-vigoureux, il marche sans cesse ; on le rencontre partout dans Paris, flânant devant les étalages. Quand il veut respirer le parfum des comestibles du Chevet de la rue Vivienne, il passe sur le trottoir opposé, tourne simplement la tête, et son nez arrive juste au-dessus des comestibles. Quelquefois ça occasionne des embarras de voitures sur la chaussée en obstruant la circulation ; mais dans le quartier on le connaît, on l’aime ; les cochers attendent un peu et les piétons se baissent complaisamment pour passer dessous. — Par les grosses averses, il est la providence des femmes sorties sans parapluie. Elles accourent toutes se réfugier vers lui. Son nez vaut trois portes