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Page:Toulet - Béhanzigue, 1921.djvu/21

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— Vas-y toi, dit-elle, pendant que je tire ma mordante.

La nuit est tout à fait tombée maintenant. On allume la lampe, Eulalie se met en camisole et jupon plat. Et tous deux près de la fenêtre, paisiblement, mangent leur mayonnaise en tartines. À travers les volets, on entend les bruits de la petite rue, un boutiquier qui cause sur le pas de sa porte avec des racoleuses — le pas régulier et sourd d’un sergot — les cris d’un enfant.

Eulalie est un peu lasse et se tait, tandis que son ami, d’un air langoureux fredonne une chanson à la mode dans son monde :

Je me suis fait décuscuter..

Ce n’est pas, au fond, qu’ils soient tout à fait démunis. Car ils ont de l’argent de côté, depuis un an environ qu’Eulalie s’est spécialisée dans l’entaulage, métier assez productif, encore que dangereux. Et c’est un cousin de Gustave-Alphonse, clerc d’huissier à Saint-Denis — un garçon très drôle — qui est chargé des placements. Il y apporte d’ailleurs beaucoup de prudence, préconise la première hypothèque, se méfie des valeurs minières, et ne demande jamais d’où vient l’argent. Mais, à cette heure-ci, on ne peut pourtant pas aller lui en demander.

Le Luxembourgeois qu’elle avait amené au bar de l’Anguille, voilà un chopin. À demi-mûr, quand elle l’avait cueilli, il le fut bientôt totalement.