Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/119

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causant, il les portait, par un geste machinal, aux boutons de son manteau. Par son importance et son inactivité, son bon sens et sa paresse, sa droiture et son entêtement, il me rappelait les vieux boyards d’avant Pierre le Grand. La feriaz[1] aurait convenu à une pareille tête. C’était un demeurant du vieux temps. Ses voisins s’honoraient de le connaître. Quant aux odnovortsi, ses pairs selon la loi, ils s’agenouillaient devant lui, peu s’en faut, et le saluaient de très loin : il était leur gloire ; ils auraient juré pour lui.

D’ordinaire, il est difficile de distinguer un odnovorets d’un moujik. Le ménage de l’odnovorets est parfois même le plus mal tenu. Ses veaux ne sortent pas de l’étable, ses chevaux sont poussifs, son harnais est fait de corde à puits. Sans être riche, Ovsianikov se distinguait parmi les hommes de cette classe. Il habitait, seul avec sa femme, une izba commode et propre ; il avait peu de domestiques, les habillait tous en russes et les appelait ouvriers. C’étaient eux aussi qui labouraient son champ. Il ne se faisait point passer pour noble, ne tranchait point du pomiéstchik. Jamais il ne s’ou-

  1. Vêtement de boyard.