Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/147

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roulettes, et notre Français entra dans Moscou la tête haute. Mais au retour le pauvre Monsieur Lejeune, à demi gelé et sans tambour, tomba entre les mains des moujiks de Smolensk. Ils l’enfermèrent, pour la nuit, dans un moulin à foulon abandonné et vinrent l’y reprendre le lendemain pour le mener au bord d’un trou de glace près d’une digue. Ils prièrent le tambour de la Grrrande Armée de leur faire ce plaisir de piquer une tête sous la glace. Monsieur Lejeune déclina cette invitation et représenta aux moujiks qu’ils feraient œuvre pie, en lui permettant de regagner Orléans de son pied léger.

— Là, Messieurs, leur dit-il, vit ma mère, une tendre mère…

Mais les moujiks, probablement peu fixés sur la situation géographique d’Orléans, insistaient pour qu’il fît un voyage sous l’eau selon le cours tortueux de la Goriloterka et l'encourageaient déjà par de petites poussées caudales et dorsales quand tout à coup, à la grande joie de Monsieur Lejeune, une sonnette tinta, et vers la digue parut un grand traîneau couvert d’un tapis bariolé avec un dossier démesurément élevé, une troïka de Viatka. Dans ce traîneau se carrait un gentilhomme fourré de loup, un seigneur rouge et ventru.