Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/177

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quelque part jusqu’au matin, quand tout à coup je m’aperçus que j’étais au bord d’un précipice.

Je retirai à temps le pied et, à travers l’ombre qui me sembla devenir un peu plus transparente, je découvris les lointains d’une plaine immense. Une large rivière la ceignait du demi-cercle qu’elle formait à partir du point où je me trouvais. Les eaux avaient l’éclat de l’acier poli et cet éclat signalait le cours de l’eau, bien qu’il s’éteignît çà et là. Le mamelon descendait presque à pic, droit au-dessous de moi ; sa grande ombre noire se détachait sur le vide azuré de l’air ; à ma droite s’élevait la fumée de deux petits feux de bivouacs voisins l’un de l’autre ; à l’entour, des silhouettes humaines, des ombres mouvantes, et par moments je distinguais la figure bouclée d’une toute jeune tête.

Je savais maintenant où j’étais venu me perdre : la plaine était bien connue dans le pays sous le nom de Biegine Loug. Mais il fallait renoncer à regagner cette nuit ma demeure, d’autant plus que j’éprouvais une extrême fatigue. Je résolus d’atteindre les feux et d’attendre le jour dans la compagnie de ces hommes que je prenais pour des marchands. Je descendis sans encombre, mais je lâchais à peine la dernière branche des broussailles qui m’avaient