Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/18

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française dont le secret, au dire de son cuisinier, consistait uniquement à dénaturer le goût original des aliments, — de sorte que, chez cet artiste, la chair avait le goût du poisson et le poisson le goût du champignon ; ses macaronis sentaient la poudre à canon : en revanche, il ne tombait jamais dans un potage une carotte qui n’eût la forme d’un rhombe ou d’un trapèze. Sauf ces légers travers, M. Poloutikine était, comme je l’ai dit, un excellent homme. Dès notre première rencontre, il m’invita à venir passer la journée chez lui.

― Il y a d’ici chez moi cinq verstes environ, me dit-il : il serait trop fatigant de faire tout ce chemin à pied ; entrons d’abord chez Khor.

― Qui est-ce, Khor ?

― Mais, mon moujik… Il demeure tout près d’ici.

Nous nous rendîmes donc chez Khor. Au milieu de la forêt, dans une clairière déboisée et cultivée, s’élevait l’habitation isolée de ce moujik. Elle consistait en plusieurs bâtiments de bois de sapin réunis par des haies. Devant l’izba principale, on remarquait un petit auvent soutenu par de minces piliers. Nous fûmes reçus par un vigoureux gaillard de vingt ans.