Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est étonnant, dit Kostia, je croyais qu’on ne pouvait voir les morts que le samedi de Roditelskaïa[1].

— On peut voir les morts à toute heure, affirma Iliouchka qui me parut être de tous le mieux au fait des légendes. Seulement, le samedi de Roditelskaïa, tu peux voir les vivants, c’est-à-dire ceux qui doivent mourir dans l’année. Il suffit d’aller s’asseoir à la nuit sur le parvis de l’église et de regarder longtemps sur la route : ceux qui passent, c’est que leur tour de mourir est venu. L’an passé la baba Ouliana est allée sur le parvis.

— Et a-t-elle vu quelqu’un ? demanda Kostia vivement.

— Mais comment donc ! Elle est d’abord restée longtemps, longtemps sans voir et sans entendre personne : seulement il lui semblait qu’un chien aboyât quelque part… enfin tout à coup un gamin en chemise passe sur la route et, en l’examinant bien, Ouliana reconnaît Ivachka Fedosséev…

— Celui qui est mort au printemps ? interrompit Fedia.

— Lui-même. Il marchait sans lever la tête,

  1. Le samedi de l’année où l’on célèbre la mémoire des parents défunts.