Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/214

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Je ne répondis pas aussitôt. Je restai étonné de l’aspect de l’individu. Qu’on s’imagine un nain de cinquante ans, le visage petit, brun, ridé, le nez pointu, les yeux imperceptibles, le tout surmonté d’un énorme amas d’épais cheveux noirs qui faisaient sur sa minuscule tête l’effet d’un champignon sur sa tige. Tout le corps était entièrement chétif et le regard absolument ineffable.

— Que voulez-vous ? répéta-t-il.

Je lui expliquai de quoi il s’agissait. Il m’écouta sans détourner de moi ses yeux clignotants.

— Eh bien ! pouvons-nous avoir un nouvel essieu ? dis-je enfin. Je payerai avec plaisir.

— Qui êtes-vous ? Des chasseurs ?

— Des chasseurs.

— Et sans honte, vous tirez dans l’air les oiseaux du ciel ! vous tuez les bêtes du bois ! Ne sentez-vous pas que c’est un péché de verser le sang innocent !

L’étrange petit vieillard parlait d’une voix traînante. Le son de cette voix me confondait : on n’y sentait rien de sénile, le timbre en était singulièrement doux, jeune, presque féminin.

— Je n’ai pas d’essieu, reprit-il ; celui de ma telega ne vaudrait rien pour la tienne qui est sans doute grande.