Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/226

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Il soupira et baissa les yeux. J’avoue que je contemplais avec ahurissement l’étrange vieillard. Son langage, certes, n’était pas celui d’un moujik, le simple peuple ne parle pas ainsi, mais les beaux diseurs non plus… je n’avais jamais rien entendu de tel.

— Dis-moi, Kassian, je t’en prie, de quoi vis-tu ?

Il ne répondit pas tout de suite, ses prunelles roulaient dans ses orbites.

— Je vis comme Dieu l’ordonne, dit-il enfin, et quant à m’occuper d’affaires, non, je ne m’occupe de rien, j’ai l’entendement dur depuis mon enfance. Je travaille autant que je peux, mais je suis un mauvais travailleur, je n’ai pas beaucoup de force et mes mains sont maladroites. Eh bien ! au printemps, j’attrape des rossignols.

— Tu attrapes des rossignols. Comment disais-tu tout à l’heure qu’on ne doit toucher à aucun hôte libre des bois, des champs ?

— Il ne faut point tuer, voilà ce qu’il ne faut point. La mort vient toute seule : voyez le charpentier Martine. Il a vécu, cet homme, peu de temps et il est mort. Et sa femme se chagrine, elle le regrette et elle a peur pour ses petits enfants… Ni l’homme ni la bête ne rusent avec la mort, la mort ne court pas et pourtant on ne