Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/72

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les marchands enfouis dans leurs lits de plume, n’ont pas le temps de s’y arrêter, ― peuvent encore remarquer, à peu de distance de Troïtsk, une énorme maison en bois à deux étages, ou plutôt la carcasse d’une maison totalement abandonnée, à toiture effondrée, à volets barricadés, située juste sur le bord de la route. Même en plein midi, par une belle journée de soleil, il ne peut y avoir de spectacle plus triste que celui de cette ruine. C’est là pourtant qu’habitait jadis le comte Petr Illitch, riche grand seigneur à la manière du siècle dernier, fameux par son hospitalité. Tout le gouvernement d’Orel se donnait rendez-vous chez lui ; on s’y divertissait, on s’y régalait, on y dansait à cœur joie, au tonnerre assourdissant de son orchestre privé, à l’éclat des bombes lumineuses et des chandelles romaines. Il est probable que plus d’une vieille, en passant devant cette demeure de boyard, déserte, soupire au souvenir cruel et doux de ces temps évanouis. Là, pendant bien des années, le comte a mené joyeuse vie ; là, il marchait le front radieux, le sourire sur les lèvres, parmi des flots de conviés et de convives qui lui témoignaient presque de l’adoration. Malheureusement, sa fortune s’épuisa à ce train de vie. Se voyant totalement ruiné, il