Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/92

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du blanc et j’entends les choses. Par exemple, je comprenais très bien qu’Alexandra ― car elle s’appelait Alexandra Andréevna ― n’avait pas pour moi de l’amour précisément, que c’était plutôt de l’amitié, de l’estime, quoi ! Elle se méprenait sans doute sur ses propres sentiments, dans sa position, vous comprenez…, ajouta le médecin qui débitait toutes ces choses avec une étrange volubilité, sans prendre le temps de respirer, avec une sorte de fièvre. ― Du reste, il me semble que j’exagère et vous ne pouvez rien comprendre. Eh bien, permettez, je vous dirai tout par ordre. » Il acheva son verre de thé et reprit d’un ton plus calme : « C’était comme cela : ma pauvre malade allait de mal en pis. Vous n’êtes pas médecin, Monsieur. Vous ne pouvez vous figurer avec exactitude ce qui se passe dans l’âme du médecin quand il commence à reconnaître que la maladie est plus forte que lui. Que devient son assurance en sa propre habileté ? On se sent confus, craintif. Il semble qu’on ait oublié tout ce qu’on savait, et que le malade a perdu confiance, et que les assistants remarquent que le docteur perd la tête ; qu’il s’imagine qu’on ne daigne plus lui communiquer les symptômes, qu’on le regarde de travers, qu’on chuchote sur son compte… Ça va mal !