Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/97

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ment, s’appuya sur le coude gauche et reprit : « Maintenant, c’est bien ; maintenant je puis vous dire que je suis très reconnaissante, que vous êtes très bon et que je vous aime. » Je la regardai, je me sentais devenir fou. « Je vous aime, entendez-vous, je vous aime. ― Alexandra Andréevna, comment mériterais-je ? ― Vous ne me comprenez donc pas ? Est-ce que tu ne me comprends pas ? » Et tout à coup, elle me prit la tête et me baisa. Je faillis crier. Je me glissai à genoux et je cachai ma tête sous l’oreiller. Elle se tait, ses doigts frémissent dans mes cheveux. J’écoute, elle pleure. Je me mets à la consoler, à la rassurer. Certes, j’aurais peine à me rappeler les mots que j’ai pu lui dire : « Vous éveillerez la domestique…, je vous remercie…, croyez…, tranquillisez-vous…, cessez donc, assez !… « ― Que me fait tout ce qui n’est pas toi ? Qu’on s’éveille, qu’on vienne, qu’importe, je vais mourir. Tu as peur, et de quoi ? Lève donc la tête…, ou bien serait-ce que vous ne m’aimez pas ? me serais-je trompée ? Pardon, alors ! Mourir, mourir, vite !… ― Alexandra Andréevna, que dites-vous ? Mais je vous aime, Alexandra Andréevna ! » Elle me regarda dans les yeux et ouvrit ses bras : « Prends-moi ! »