Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/104

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Il jeta le cahier dans le tiroir de sa table et retourna à son lit ; mais il ne s’endormit qu’au matin, alors que les premières alouettes tintaient comme des clochettes dans le ciel blanchissant.

Le lendemain, comme, après avoir fini de donner sa leçon, il venait de s’asseoir dans la salle de billard, Mme Sipiaguine entra, regarda autour d’elle, et, s’approchant de lui avec un sourire, elle l’invita à passer dans son cabinet.

Elle portait une légère robe de barége, très-simple et très-jolie ; les manches garnies de ruches n’atteignaient pas plus bas que le coude, un large ruban entourait sa taille, ses cheveux tombaient sur son cou en tresses arrondies. Tout en elle respirait le bon accueil et la caresse, une caresse circonspecte… et encourageante ; tout, depuis l’éclat adouci de ses yeux à demi clos et la langueur nonchalante de sa voix jusqu’à ses mouvements et à sa démarche.

Mme Sipiaguine emmena Néjdanof dans son cabinet ; c’était une pièce commode, agréable, tout imprégnée de l’odeur des fleurs et des parfums, de la propreté fraîche des vêtements féminins, de la présence constante d’une femme. Elle le fit asseoir dans un fauteuil, s’assit elle-même auprès de lui et commença à le questionner au sujet de son voyage, de la manière de vivre de Markelof, et tout cela d’une façon si réservée, si bonne, si douce ! Elle portait un intérêt si sincère à tout ce qui concernait son frère, duquel jusqu’à ce jour elle n’avait jamais parlé en présence de Néjdanof ! Certaines de ses paroles laissaient deviner que le sentiment inspiré par Marianne n’avait pas échappé à son attention ; elle s’en attrista un peu. Était-ce parce que ce sentiment n’avait pas été partagé par Marianne, ou bien parce que le choix de son frère était tombé sur une jeune fille qui, au fond, lui était étrangère ?… Ce point resta obscur. Mais, avant toutes choses, elle s’efforçait visiblement d’apprivoiser Néjdanof, de lui inspirer de la confiance, de l’obliger à