Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/145

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un moment ; mais j’espère, messieurs, que vous voudrez bien venir manger un morceau aujourd’hui à trois heures ; nous serions beaucoup plus à notre aise. »

Solomine et Néjdanof ne savaient que répondre ; mais Markelof, avec la même mauvaise humeur sur le visage et dans la voix, répondit aussitôt :

« Certainement nous y viendrons ! Sans cela, quelle sotte comédie jouerions-nous là ?

— Merci, merci ! répliqua Golouchkine ; et s’inclinant vers Markelof, il ajouta : —Quoi qu’il arrive, je donne mille roubles pour l’œuvre, n’en doute pas. »

Il poussa trois fois devant lui sa main droite avec le pouce et le petit doigt étendus, comme preuve de sa sincérité. Après avoir reconduit ses hôtes jusqu’à la porte, il s’arrêta sur le seuil, et cria :

« Je vous attends à trois heures.

— Attends-nous ! » répondit Markelof seul.

Quand ils se trouvèrent tous les trois dans la rue, Solomine leur dit :

« Messieurs, je prends un « isvochtchick »[1] et je retourne à ma fabrique. Que pourrions-nous faire jusqu’au dîner ? Battre le pavé ? Quant à notre hôte, il me fait l’effet d’être comme le bouc, qui ne fournit ni laine, ni lait.

— Pour de la laine, il y en aura ! grommela Markelof d’un air bourru. Golouchkine m’a promis de l’argent. À moins que vous ne vouliez faire les dégoûtés ! Il ne faut pas être si regardant dans notre position !

— Je ne suis pas un dégoûté, vous le savez ! répondit tranquillement Solomine. Mais je me demande seulement à quoi ma présence peut être utile. D’ailleurs, — ajouta-t-il en regardant Néjdanof avec un sourire, — si ça peut vous faire plaisir, je reste ; comme dit le proverbe : « Il fait bon mourir, quand on n’est pas seul. »

Markelof releva la tête.

« 

  1. Cocher de fiacre.