Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/153

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bonnet en astrakan, d’une paire de gants verts en peau de daim, et lui souhaitaient un bon voyage.

Leur maison était pleine de « dvorovié » (gens de service), selon l’ancienne coutume. Le vieux domestique Kalliopytch, vêtu d’une camisole à col droit, faite d’un drap extraordinairement épais et fermée par de petits boutons en cuivre, annonçait, comme jadis, d’une voix solennelle et traînante, que « le dîner était servi », et s’endormait debout derrière le siège de sa maîtresse. Il avait le buffet sous sa garde : il administrait « les différents bocaux, cardamomes et citrons ».

Quand on lui demandait s’il n’avait pas entendu parler de l’affranchissement des serfs, il répondait invariablement qu’il se dit bien des bêtises de par le monde ; que c’est chez les Turcs qu’il y a la liberté, et que, quant à lui, grâce à Dieu, ça l’a épargné jusqu’à présent.

Il y avait dans la maison une naine, Poufka, destinée à l’amusement des maîtres. La vieille bonne Vassilievna venait à l’heure du dîner, —coiffée d’un grand mouchoir foncé, — et, d’une voix chevrotante, parlait de tout ce qu’il y avait de nouveau : de Napoléon Ier, de la guerre de 1812, de l’antechrist, des nègres blancs ; quelquefois, le menton appuyé sur la paume de la main, dans une attitude dolente, elle racontait les songes qu’elle avait eus, et elle les interprétait ; elle disait aussi ce qu’elle avait vu dans les cartes.

La maison même des Soubotchef différait de toutes les autres maisons de la ville : elle était entièrement construite en chêne, avec des fenêtres exactement carrées, dont les doubles châssis étaient à demeure, été comme hiver. Elle était remplie de toutes sortes de chambrettes, de cabinets, de coins et de recoins, de perrons à balustrades, de petites soupentes soutenues par des colonnettes en bois tourné, de cabinets noirs et de corridors.

Devant la maison, il y avait un enclos ; derrière, un