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Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/196

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Il releva la tête : Marianne fixait sur lui un regard tendre et soucieux.

« Mon ami ! qu’as-tu ? »

Il prit la main posée sur son épaule, et baisa pour la première fois cette petite main, à la fois jolie et forte. Marianne eut un léger éclat de rire, comme étonnée que l’idée d’une telle amabilité lui fût venue à l’esprit. Puis à son tour elle devint pensive.

« Markelof t’a-t-il montré la lettre de Mme Sipiaguine ? demanda-t-elle enfin.

— Oui.

— Et… qu’a-t-il dit ?

— Lui ? C’est la générosité, l’abnégation en personne. Il… »

Néjdanof allait parler à Marianne du portrait, mais il se contint, et se borna à répéter :

« C’est la générosité même !

— Oh ! oui, oui. »

Marianne redevint pensive, puis tout à coup, se tournant vers Néjdanof sur le tronc de bouleau qui leur servait de siège, elle lui dit vivement :

« Ainsi donc… qu’avez-vous décidé ? »

Néjdanof haussa les épaules.

« Mais, je te l’ai dit ; jusqu’à présent, il n’y a rien de décidé ; il faut attendre encore.

— Attendre encore ? Attendre quoi ?

— Les dernières instructions. (Je sais bien que je mens, pensa Néjdanof.)

— De qui ?

— De… tu sais… de Vassili Nicolaïevitch. Et puis aussi il faut attendre le retour d’Ostrodoumof. »

Marianne regarda Néjdanof d’un air interrogateur.

« Dis-moi, est-ce que tu l’as jamais vu, ce Vassili Nicolaïevitch ?

— Je l’ai vu deux fois… un petit moment.

— Eh bien… est-ce un homme remarquable ?

— Mon Dieu ! que te dirai-je ? Il est notre chef, et c’est