Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/251

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bois d’une brosse en guise de marteau ; elle mit le linge dans une vieille petite commode qui se trouvait entre les deux fenêtres.

« Qu’est-ce que c’est ? dit-elle tout à coup, un revolver ? Est-il chargé ? Pourquoi as-tu un revolver ?

— Il n’est pas chargé… donne-le-moi tout de même. Tu me demandes pourquoi ? Mais dans notre métier, on ne marche pas sans cela ! »

Elle se mit à rire et reprit son travail, secouant chaque pièce de vêtement et la battant avec la paume de la main ; elle déposa même sous le canapé deux paires de bottes ; quelques livres, un paquet de papiers et le fameux cahier de poésies furent solennellement rangés sur une table de coin, à trois pieds, qu’elle baptisa table à écrire et table de travail, par opposition à l’autre, qui était ronde et qu’elle appela table à manger et table à thé.

Cela fait, elle prit à deux mains le cahier de vers ; l’éleva jusqu’à la hauteur de ses yeux, et, regardant Néjdanof par-dessus la ligne horizontale du bord, elle lui dit en souriant :

« Nous lirons tout cela ensemble, n’est-ce pas, pendant le loisir que nous laisseront nos occupations, hé ?

— Donne-moi ce cahier, je vais le jeter au feu ! s’écria Néjdanof. Il ne mérite pas autre chose.

— Mais alors, pourquoi l’as-tu emporté ? —Non, non, je ne te le laisserai pas brûler. Du reste, on prétend que les poètes menacent de brûler leurs ouvrages, mais qu’ils ne les brûlent jamais. En tout cas, je le garde chez moi, c’est plus sûr. »

Néjdanof voulut protester, mais Marianne s’enfuit dans sa chambre avec le cahier, et revint les mains vides.

Elle s’assit près de Néjdanof, et se releva aussitôt.

« Tu n’as pas encore été chez moi… dans ma chambre. Veux-tu la voir ? Elle n’est pas plus mal que la tienne. Viens, je te la montrerai. »