Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/312

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Et d’un geste non moins élégant, mais nullement énergique, il replaça son chapeau sur la table.

« Qu’on dételle la voiture ! ordonna-t-il au laquais ; —mais qu’elle soit prête demain matin à six heures précises. Tu m’entends ? —Va ! — Attends ! —Qu’on renvoie l’équipage de monsieur… de monsieur notre hôte ! Qu’on paye le cocher ! — Hein ? vous avez dit quelque chose, monsieur Konopatine ? —Je vous emmène avec moi demain matin, monsieur Konopatine ! Vous dites ? Je n’ai pas entendu… Vous prenez de l’eau-de-vie, n’est-ce pas ? Donnez de l’eau-de-vie à monsieur Konopatine ! — Non ? vous n’en prenez pas ? —C’est différent… Féodor ! Conduis monsieur dans la chambre verte. —Bonne nuit, monsieur Kono… »

Pakline n’y tint plus.

« Pakline ! s’écria-t-il d’une voix tonnante. —Je m’appelle Pakline !

— Ah ! oui… oui ; c’est la même chose, ça se tient, vous savez. Mais quelle voix vous avez, avec votre apparence chétive ! —À demain, monsieur Pakline… Ai-je bien dit, cette fois ? — Siméon, vous viendrez avec nous ? ajouta-t-il en français, en s’adressant à Kalloméïtsef.

— Je crois bien ! »

On emmena Pakline dans la chambre verte, et même on l’enferma. Pendant qu’il se couchait, il entendit la clef tourner à grand bruit dans la serrure anglaise. Il se dit forces injures pour son idée « de génie », et son sommeil fut des plus mauvais.

Le lendemain matin, à cinq heures et demie, on vint le réveiller. On lui apporta du café ; pendant qu’il le prenait, —un laquais, dont l’épaule était ornée d’aiguillettes bariolées, attendait, son plateau dans les mains, en se dandinant sur ses pieds, d’un air qui voulait dire : « Mais dépêche-toi donc ! les maîtres attendent ! » Puis on le conduisit en bas. La voiture était déjà devant la porte, ainsi que la calèche de Kalloméïtsef.