Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Les fenêtres sont blanchies à la craie ; l’hôtesse est absente », etc. Rien de plus. Je ne te dirai rien, parce que j’en aurais trop long à te dire, et le temps me manque. Mais je ne voulais pas m’en aller sans t’avertir ; car tu aurais pu me croire vivant, et ç’eût été de ma part un péché envers notre amitié.

« Adieu. Tâche de vivre.

« Ton ami, A. N. »


L’autre lettre, un peu plus longue, était adressée à Solomine et à Marianne ensemble. Voici quelle en était la teneur :


« Mes chers enfants !

(À la suite de ces deux mots, il y avait une interruption ; quelque chose était raturé ou plutôt effacé, comme par des larmes.)

« Il vous semblera étrange peut-être que je vous appelle ainsi ; je suis presque un enfant, et toi, Solomine, je le sais bien, tu es plus vieux que moi. Mais je vais mourir, et, à la limite de la vie, je me fais l’effet d’un vieillard. Je suis très-coupable envers vous deux, surtout envers toi, Marianne, car je vous cause beaucoup de chagrin (et tu en auras, Marianne, je le sais), et beaucoup de dérangement. Mais qu’aurais-je pu faire ? Je n’ai pas trouvé d’autre issue. Je n’ai pas su me « simplifier », il ne me restait plus qu’à me biffer tout à fait. Marianne, j’aurais été un fardeau, et pour toi, et pour moi. Tu es généreuse, tu aurais peut-être accepté avec joie ce fardeau comme un nouveau sacrifice : mais je n’avais pas le droit de te l’imposer ; tu as mieux et davantage à faire.

« Mes chers enfants, laissez-moi vous unir l’un à l’autre, d’une main qui vient, pour ainsi dire, de par-delà la tombe.

« Vous serez bien ensemble. Marianne, tu finiras par