Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/347

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respiration tranquille. Adieu ! adieu ! adieu, mes enfants, mes amis !

« Votre A. »


« Tiens ! voilà que dans cette lettre, écrite au moment où je vais mourir, je n’ai pas dit un seul mot de notre grande œuvre ! C’est sans doute parce qu’au moment de la mort, on n’a pas à mentir… Marianne, pardonne-moi ce post-scriptum… Le mensonge était en moi, et non dans l’œuvre à laquelle tu crois.

« Ah ! encore un mot. Tu penseras peut-être, Marianne, que j’ai eu peur de la prison, — car on m’y aurait envoyé nécessairement, — et que j’ai pris ce moyen pour l’éviter ? Non ; la prison n’est pas une si grosse affaire ; mais être en prison pour une œuvre à laquelle on ne croit pas, ce serait trop absurde. Si j’en finis avec moi, ce n’est pas par crainte de la prison.

« Adieu, Marianne ! Adieu ! »


Marianne et Solomine, l’un après l’autre, lurent cette lettre. Puis elle mit dans sa poche les deux lettres et le portrait, et resta immobile.

Alors Solomine lui dit :

« Tout est prêt, Marianne, partons. Il faut remplir sa volonté. »

Marianne s’approcha de Néjdanof, posa ses lèvres sur son front déjà refroidi, et, se tournant vers Solomine, lui dit :

« Partons. »

Il lui prit le bras, et tous deux sortirent de la chambre.




Quelques heures après, quand la police pénétra dans la fabrique, elle trouva Néjdanof, il est vrai, mais mort. Tatiana l’avait soigneusement arrangé sur son lit, elle avait mis sous sa tête un oreiller blanc, elle lui avait