Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/45

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« Je vois qu’on ne peut pas encore te donner des commissions. Mais, c’est égal, dis comme tu sauras. »

Le petit garçon baisa vivement la main chargée de bagues de sa mère et se précipita hors du salon.

Mme Sipiaguine le suivit des yeux, soupira, s’approcha d’une cage dorée sur le grillage de laquelle un perroquet vert grimpait en s’aidant prudemment du bec et des pattes, l’agaça un peu du bout du doigt, puis se laissa tomber sur un divan bas, et, prenant sur un guéridon sculpté le dernier numéro de la Revue des Deux Mondes, se mit à le feuilleter, appuyée au dos du divan.

Une toux respectueuse lui fit lever la tête. Un superbe serviteur en habit de livrée, cravaté de blanc, était sur le seuil de la porte.

« Qu’y a-t-il, Agathon ? dit-elle de la même voix douce.

— Siméon Pétrovitch Kalloméïtsef. Ordonnez-vous de le recevoir ?

— Certainement, fais entrer. Et fais dire à Mlle Marianne qu’elle est priée de vouloir bien venir au salon. »

Siméon Pétrovitch Kalloméïtsef était un jeune homme d’environ trente-deux ans. En le voyant entrer dans le salon, d’un air à la fois dégagé et nonchalant, presque langoureux, puis tout à coup laisser éclater une vive joie sur son visage ; s’incliner un peu en biais et se redresser aussitôt comme un ressort ; adresser la parole à la maîtresse du logis avec un nasillement douceâtre, prendre respectueusement et baiser avec effusion la main de Valentine, — en voyant tout cela, il était facile de deviner que le nouveau venu n’était pas un provincial, un riche voisin quelconque, mais bien un véritable Pétersbourgeois de haute volée.

Ajoutons qu’il était vêtu dans le style anglais le plus pur ; la poche de côté, absolument plate, de sa jaquette bigarrée, laissait dépasser en triangle le petit coin d’un mouchoir tout neuf en batiste blanche ; son monocle