Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/67

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sur l’eau autour de lui. Des voix humaines, contenues et discrètes, retentissaient de temps en temps ; tout respirait le calme matinal, l’assiduité consciencieuse du premier travail, l’ordre et la régularité d’une vie tranquille et bien établie. Et voilà qu’au détour d’une allée, Néjdanof vit apparaître la personnification même de l’ordre et de la régularité, — Sipiaguine lui-même.

Il portait une longue redingote couleur pois, — une sorte de robe de chambre, — et une casquette bariolée ; il marchait en s’appuyant sur une canne de bambou d’origine anglaise ; son visage, rasé de frais, exprimait la satisfaction ; il était sorti pour visiter son domaine.

Sipiaguine demanda à Néjdanof, d’un air affable, des nouvelles de sa santé :

« Ah ! ah ! lui dit-il, je vois, vous êtes jeune, mais matinal. (Il prenait le mot « matinal » au sens propre au lieu du sens figuré qu’a ce mot dans le proverbe russe : « Jeune, mais matinal, c’est-à-dire : sage de bonne heure. » Son intention était sans doute de féliciter Néjdanof qui, comme lui, Sipiaguine, n’avait pas abusé du lit.) Nous prenons le thé en commun à huit heures, dans la salle à manger, et nous déjeunons à midi ; à dix heures, Kolia prendra avec vous sa première leçon de russe, et à deux heures sa leçon d’histoire. Demain, 9 mai, jour de sa fête, il n’y aura pas de leçons ; mais commencez aujourd’hui, je vous prie. »

Néjdanof fit un signe de tête ; Sipiaguine prit congé de lui à la française, en agitant rapidement et plusieurs fois de suite sa main devant son nez, et continua son chemin en balançant sa canne et en sifflotant, non comme un haut dignitaire, mais comme un bon country-gentleman russe.

Néjdanof resta au jardin jusqu’à huit heures, écoutant le chant des oiseaux, aspirant la fraîcheur de l’air, se délectant à l’ombre des vieux arbres. L’appel du gong le