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Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/73

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femmes, les petites filles, vinrent lui baiser la main ; les paysans, suivant la vieille coutume du temps du servage, bourdonnaient confusément devant la maison, autour des tables couvertes de gâteaux et de bouteilles d’eau-de-vie.

Kolia, tout à la fois honteux et enchanté, fier et timide, tantôt allait embrasser ses parents, tantôt courait dehors. À la fin du dîner, Sipiaguine fit apporter du champagne, et, avant de porter la santé de son fils, prononça un speech.

Il dit d’abord ce qu’on doit entendre par « remplir son devoir ici-bas », et quel chemin il désirait voir prendre à son Nicolas (c’est ainsi qu’il l’appela à cette occasion), — et ce qu’avaient le droit d’attendre de lui : premièrement, sa famille ; secondement, la société ; troisièmement, le peuple, — oui, messieurs, le peuple ; — quatrièmement, le gouvernement !

S’élevant peu à peu, il finit par atteindre à la véritable éloquence, en même temps qu’il insinuait, — à l’instar de Robert Peel, — sa main dans le revers de son habit ; il prononça le mot « science » avec attendrissement, et termina son speech par l’exclamation : laboremus, qu’il traduisit immédiatement en langue russe.

Kolia, son verre à la main, fit le tour de la table pour remercier son père et embrasser tous les assistants. Néjdanof échangea de nouveau un regard avec Marianne… Ils éprouvaient probablement tous deux la même impression… Mais ils n’échangèrent pas une parole.

Ce spectacle, d’ailleurs, paraissait à Néjdanof amusant et même intéressant, plutôt que répugnant ou désagréable, et l’aimable hôtesse, Mme Sipiaguine, lui faisait l’effet d’une femme intelligente, qui sait qu’elle joue un rôle, et qui en même temps est secrètement heureuse d’être comprise par quelqu’un d’intelligent aussi et de perspicace… Néjdanof, sans doute, ne soupçonnait pas lui-même jusqu’à quel point il était flatté dans son amour-propre par la manière d’être de Mme Sipiaguine envers lui.