Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/98

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comme ses pères. Et trop savant, avec ça ! Faites ce que vous voudrez, pas moyen d’attraper un mot de ce qu’il dit !… C’est un brave homme, après tout. »

Néjdanof continua son chemin et rencontra Markelof lui-même.

Markelof marchait, entouré de toute une troupe de travailleurs ; on le voyait de loin parler, expliquer quelque chose, puis faire de la main un geste qui voulait dire : J’y renonce ! Près de lui se tenait son aide, jeune homme myope dont la tournure n’était guère imposante. Ce dernier répétait constamment : « Ce sera comme vous voudrez, » au grand dépit du patron, qui aurait voulu lui voir plus d’initiative.

Néjdanof aborda Markelof, et vit sur son visage l’expression de la fatigue morale qu’il éprouvait lui-même.

Ils se dirent bonjour ; Markelof se mit aussitôt à lui parler, très-brièvement, il est vrai, des « questions » discutées la veille, de l’imminence d’une catastrophe ; mais l’expression de la fatigue ne disparut pas de son visage. Il était tout couvert de poussière et de sueur ; des copeaux de bois et des brins de mousse s’étaient attachés à son vêtement, sa voix était enrouée.

Les gens qui l’entouraient gardaient le silence. On n’aurait su dire s’ils avaient peur de lui ou s’ils se moquaient de lui intérieurement.

Néjdanof regarda Markelof, et il entendit résonner en lui-même les paroles d’Ostrodoumof : « À quoi bon parler de cela à présent ? En tout cas, il faudra tout refaire après ! »

Un des travailleurs, qui avait commis une faute, pria Markelof de lui faire grâce de l’amende. Markelof commença par se fâcher, poussa des cris de fureur, et puis pardonna.

« En tout cas, il faudra tout refaire après ! »

Néjdanof demanda à Markelof des chevaux et un équipage pour retourner à la maison ; Markelof eut l’air