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ou capricieux, comme il arrive souvent aux fils uniques ; mais chez moi, le système nerveux se dérangea de bonne heure. Ajoutez à cela que j’avais une santé très délicate, comme ma mère elle-même, à laquelle je ressemblais de visage. Je fuyais la société des jeunes garçons de mon âge, et j’évitais généralement le contact des êtres humains ; je conversais même peu avec ma mère.

J’aimais surtout à lire, à me promener seul, à rêver. De quoi rêvais-je ? Il m’eût été difficile de le dire. Quelquefois… oui, quelquefois il me semblait vraiment que j’étais debout devant une porte entre-bâillée. Là, derrière, se cachent des choses secrètes et mystérieuses ; je suis immobile, j’attends, je n’ose franchir le seuil, et je pense… je pense à ce qui peut se trouver devant moi !… J’attends toujours, pétrifié dans une sorte d’anxiété… ou bien je m’endors.

Si j’avais eu la moindre veine poétique, je me serais mis probablement à écrire des vers ; si j’avais eu quelque penchant à la dévotion, je me serais peut-être fait moine. Mais je n’avais rien de tout cela ; je continuais à rêver et à attendre.

III

J’ai dit que je m’endormais quelquefois sous l’influence de ces vagues et confuses rêvasseries. En général, je dormais beaucoup et les rêves tenaient une grande place dans mon existence. J’en faisais toutes les nuits ; j’en gardais le souvenir, je leur attribuais de l’importance, j’y voyais des prédictions, je tâchais d’en deviner le sens. Quelques-uns de ces rêves se répétaient parfois, ce qui me semblait toujours fort étrange. Un de ces rêves répétés me troublait particulièrement. Il me semblait que je marchais dans quelque rue étroite et mal pavée d’une vieille ville, entre deux rangées de hautes maisons aux toits pointus. Je m’imagine que je cher-