et faites-lui dire qu’il faut absolument qu’il vienne ; je désire le voir. »
Lisinski allait répondre, mais il se retint.
« Faites aussi savoir à Slotkine que je lui ordonne de paraître devant moi… Entendez-vous bien ? je l’ordonne.
— Voilà un vaurien qu’il faudrait… » murmura Gitkof dans son assiette.
Ma mère lui jeta un tel regard de mépris qu’il se tut aussitôt et détourna la tête.
« Martin Petrovitch ne viendra pas, me souffla Souvenir à l’oreille au moment où nous quittions la salle à manger. Vous ne pouvez imaginer ce qu’il est devenu ; l’esprit humain se refuse à le comprendre. Il n’entend rien de ce qu’on lui dit, parole d’honneur. Cela fait penser au proverbe : La fourche a saisi la couleuvre. »
Et Souvenir partit de son vilain rire.
La prédiction de Souvenir se trouva justifiée : Kharlof ne voulut pas se rendre chez ma mère. Celle-ci ne se tint pas pour vaincue ; elle lui fit parvenir une lettre écrite de sa propre main. Kharlof lui renvoya un morceau de papier à sucre sur lequel étaient écrits en grandes lettres les mots suivants : « Devant Dieu, je ne puis, la honte me tuerait ; laissez-moi disparaître. Merci… ne me tourmentez pas. Kharlof, Martinko[1]. » Slotkine vint, mais un jour entier plus tard que ma mère ne lui avait or-
- ↑ Diminutif méprisant de Martin.