Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/201

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

aussitôt. Son visage n’était point pâle, mais immobile, inerte ; ses lèvres, serrées, étaient blanches, — et ses yeux ouverts et fixes avaient conservé le regard somnolent et « inégal » qui leur était habituel…

« Seigneur Dieu ! » murmura tout à coup Siméon, et il me montra sa main souillée de sang… Le sang sortait du côté gauche de Téglew, sous son manteau.

Il s’était tué avec un petit pistolet qui gisait à terre, à côté de lui. Ce faible bruit que j’avais entendu, c’était celui du coup fatal.

XVI

Les camarades de Téglew ne furent pas très-étonnés de ce suicide. Comme je vous l’ai dit, ils attendaient de lui, en tant que personnage « fatal », quelque chose d’extraordinaire ; il est probable pourtant qu’ils n’auraient jamais pensé à un suicide.

Dans sa lettre, Téglew priait le commandant de la batterie de faire rayer des contrôles le sous-lieutenant Téglew, comme s’étant suicidé ; il déclarait ensuite que l’argent qu’on trouverait dans sa cassette dépassait la somme de ses dettes, et, enfin, il priait le commandant de remettre au commandant en chef du corps de la garde une autre lettre non cachetée qui était contenue dans celle-ci. Téglew avait évidemment écrit cette seconde lettre avec beaucoup de soin :

« Voyez, Altesse (c’est ainsi, je m’en souviens, qu’elle commençait), combien vous êtes sévère et