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L’Abandonnée.

qu’il lâchait l’un après l’autre étaient grossiers et menaçants. Je m’approchai de Susanne, et, à la première pause, je lui demandai si elle aimait la musique autant que son père.

Elle se pencha en arrière comme si je l’eusse heurtée, et ce fut avec effort qu’elle articula un : quoi ?

« Monsieur votre père, répétai-je, M. Ratsch…

M. Ratsch n’est pas mon père.

— …N’est pas votre père ? Pardon… Je crois avoir mal compris… Il me semblait pourtant qu’Alexandre… »

Elle me regarda fixement d’un air anxieux.

« Vous avez mal compris M. Fustow ; M. Ratsch est mon beau-père. »

Je me tus un instant.

« Ainsi, vous n’aimez pas la musique ? »

Susanne leva vers moi un regard effaré. Apparemment elle ne s’était pas attendue à ce que je poussasse la conversation et ne se souciait pas de la continuer.

« Je n’ai pas dit cela, » fit-elle en hésitant.

Trou tou tou tou tou ou ou ! entendit-on soudain, et le basson exécuta le finale avec une sorte de rage. Je me retournai, mon œil rencontra la nuque rouge de M. Ratsch, tuméfiée, comme le cou d’un serpent, jusqu’au bout des oreilles, qui s’écartaient de la tête ; et M. Ratsch me parut laid, fort laid.

« Je suis sûr que vous n’aimez pas cet… instrument, dis-je à mi-voix.