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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/231

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L’Abandonnée.

XI

Victor devint loquace. Les yeux au plafond, il se mit à parler tranquillement et sur un ton nasillard du théâtre, de deux acteurs qu’il connaissait, d’une demoiselle Séraphine qui s’était moquée de lui, et du nouveau professeur R…, qu’il appela gros butor.

« Figurez-vous ce que ce cul-de jatte moral vient d’imaginer ? Il commence chaque leçon par un acte de présence ; — et il se donne pour un libéral ! Je les aurais tous fourré au violon, ces libéraux-là ! »

Il retourna toute la partie supérieure de son individu vers Fustow, le regarda en face, et lui dit d’une voix moitié pleurnicheuse, moitié railleuse :

« J’ai une prière à vous adresser, Alexandre Davidovitch… Ne pourriez-vous pas mettre mon vieux à la raison… Vous jouez tant de duos ensemble… Il a l’impudence de ne me donner que vingt-cinq roubles par mois… Pour quoi faire ? Cela ne suffit pas même pour le tabac. Et il exige encore que je me tire de là sans dettes ! Je voudrais bien le voir dans ma peau. Moi, je ne suis pas comme d’autres, je ne touche aucune pension. (Victor prononça le mot autres avec une intonation particulière.) Le vieux a de l’argent, je le sais, en masse. Qu’est-ce qui lui prend donc de jouer avec moi le rôle du pauvre Lazare ? Il ne réussira pas à me tromper. Faux