Aller au contenu

Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
220
L’Abandonnée.

treize roubles trente kopeks ? demanda-t-il en se détournant de moi et en baissant le ton.

— Victor les a obtenus d’Éléonore Karpovna ; il prétendait que vous les lui aviez accordés, répondit Susanne en baissant la voix elle aussi.

— Il prétendait… il prétendait que je les avais accordés, grommela Ratsch ; est-ce que je ne suis pas là, moi ? On aurait dû me consulter. Et ces dix-sept roubles, à qui les a-t-on payés ?

— Au marchand de meubles.

— Au marchand de meubles ? Et pourquoi cela ?

— Selon facture.

— Selon facture ! Voyons un peu. » Il arracha le registre des mains de Susanne, planta sur son nez son gros binocle aux lentilles arrondies, encadrées d’argent, et chercha en suivant les lignes du doigt. « Au marchand de meubles… — Tiens !.. au marchand de meubles… Vous jetez comme cela l’argent par les fenêtres à cœur joie… à la mode croate… et selon facture encore ! Mais à quoi bon ? » fit-il soudain, en ôtant ses lunettes de dessus son nez et en se retournant vers moi. « Nous nous occuperons plus tard de cette prose. Susanne Ivanowna, enlevez pour aujourd’hui tous ces comptes, mais ne manquez pas de revenir vous-même, et de ravir par votre talent musical les oreilles de notre cher visiteur, par votre piano, veux-je dire… Hé ? »

Susanne détournait la tête…

— Je m’estimerais heureux, dis-je avec empressement, je m’estimerais très-heureux de vous entendre.