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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/244

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L’Abandonnée.

leur alors en vogue, c’est-à-dire flamme de punch. Ce frac ne l’habillait guère mieux qu’il n’eût habillé notre vieux domestique. Le bal du troisième acte nous plut infiniment. À vrai dire, les pas, tels qu’ils furent exécutés, ne ressemblaient guère à une véritable danse ; mais c’était le style de l’époque, et ce style est resté le même… au théâtre, à ce que je crois. Un des danseurs entama des cabrioles fantastiques, en faisant voltiger les boucles de sa perruque ; le public reconnaissant poussait des éclats de rire interminables.

En quittant la salle, nous rencontrâmes Victor dans le couloir.

« Vous étiez là ! s’écria-t-il avec un geste d’étonnement ; comment se fait-il que je ne vous aie pas vus ? Enchanté de la rencontre ! Il faut à toute force que vous soupiez avec moi ce soir. Venez, je vous invite. »

Le jeune Ratsch paraissait fort excité, exalté même, et, dans son exaltation, il avait un certain air narquois ; des taches rouges se montraient sur ses joues.

« À quel heureux propos ?… demanda Fustow.

— À quel propos ? Tenez, voilà ! »

Victor nous conduisit à l’écart et tira de la poche de son pantalon toute une liasse de billets de banque, bleus et rouges, à cinq et à dix roubles. Il faisait danser le paquet dans sa main.

Fustow témoigna quelque surprise.

« Votre père a donc eu un accès de générosité ? »

Victor se mit à rire.