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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/269

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L’Abandonnée.

— Chansons que tout cela ! Vous avez le droit de l’importuner.

— Quel droit, Ivan Demïanitch ?

— Allons, allons, ne prenez pas cet air… Il y a différents motifs pour qu’il ne puisse rien vous refuser. Est-il possible que vous ne me compreniez pas ? »

Il me regarda d’un air impudent, et je sentis brûler mes joues. La haine et le mépris se dressèrent tout à coup en moi ; ils montèrent comme une vague et m’inondèrent.

« Oui, je vous comprends, Ivan Demïanitch, » répondis-je enfin, et ma voix me parut étrange à moi-même. « Je ne me rendrai pas chez Ivan Matveitch, et je ne le supplierai pas ! Et, s’il s’agissait même de perdre mon pain et le vôtre, que la destinée s’accomplisse ! »

M. Ratsch bondit sur place ; ses lèvres se serrèrent, ses poings se crispèrent.

« Eh bien ! attends alors, princesse de Golconde, » murmura-t-il d’une voix rauque, « je te revaudrai cela ! »

Ce même jour, Ivan Matveitch le fit appeler. On raconte qu’il le menaça de son jonc espagnol, de ce jonc qu’il avait échangé jadis avec le duc de La Rochefoucauld, et qu’il le reçut en criant : « Vous êtes, monsieur, un coquin ! Vous voulez vous enrichir d’un Mammon injuste. Je vous commettrai à la porte ! » Ivan Matveitch parlait très-imparfaitement le russe, il « méprisait notre jargon vulgaire et rude ». Quelqu’un dit une fois en sa présence :