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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/64

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mon royaume. Allons, viens. Je te montrerai le jardin et la maison, et la grange, et tout ; j’ai un tas de belles choses. »

Nous partîmes. De notre château jusqu’à Ieskovo il y avait trois verstes. « Le voilà, mon royaume », dit-il bientôt en s’efforçant de tourner vers moi sa lourde tête et en agitant sa main de droite et de gauche. « Tout cela est à moi. » L’habitation de Kharlof s’élevait au sommet d’une colline. En bas, quelques misérables cabanes semblaient collées l’une à l’autre le long d’un étang. Debout sur une planche, une vieille paysanne frappait à tour de bras sur du linge qu’elle venait de tordre. « Axinia ! » cria Kharlof d’une voix si formidable qu’une bande de corbeaux s’envola d’un champ de seigle voisin, « c’est la culotte de ton mari que tu laves ? »

La vieille femme se retourna tout d’une pièce et fit une profonde révérence.

« Oui, sa culotte, mon petit père », murmura-t-elle d’une voix cassée.

« Que je te voie faire autre chose ! Tiens, regarde, continua-t-il en s’adressant à moi et trottinant le long d’une clôture en ruine, voici mon chanvre, à moi, et celui-là est aux paysans. Vois-tu la différence ? Et ceci, c’est mon jardin ; c’est moi qui ai planté ces pommiers, et ces saules moi aussi. Avant moi il n’y avait aucun arbre. Apprends comme il faut faire, blanc-bec. »

Nous entrâmes dans une cour entourée de palissades. En face de la porte cochère s’élevait une mai-