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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/70

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voir, et se contenta de sourire, d’un sourire moins bienveillant encore que la première fois.

Je pris mon cheval des mains du gendre de Kharlof, et le menai par la bride. Nous allâmes ensemble visiter la grange ; mais, comme il ne s’y trouvait rien de particulièrement curieux, et que mon guide ne pouvait pas supposer chez un garçon de mon âge la passion de l’agronomie, nous traversâmes le jardin pour regagner la grande route.

Vladimir Slotkine était un orphelin, fils d’un petit employé qui avait été l’agent d’affaires de ma mère. Elle avait commencé par le mettre à l’école du district, puis on en avait fait un commis dans le bureau d’administration de nos biens. Plus tard, il était entré au service des dépôts d’approvisionnement de la couronne, et finalement on l’avait marié à la fille de Kharlof. Ma mère l’appelait petit juif : avec ses cheveux frisés, ses yeux noirs et toujours humides comme des pruneaux cuits, son nez crochu et ses larges lèvres rouges, il offrait tout à fait le type de la race orientale. Du reste, il avait la peau blanche et pouvait passer pour joli garçon. Vladimir était d’un caractère très-serviable, tant que ses propres intérêts n’étaient point en jeu. L’âpreté au gain lui faisait presque perdre la tête et lui arrachait parfois des larmes. Il ne pouvait supporter qu’on ne lui tînt pas immédiatement une promesse faite ; il en tremblait de colère, il en geignait de dépit. Il aimait à rôder dans les champs avec un fusil ; lorsqu’il lui arrivait d’accrocher un lièvre, un