Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/103

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esprit lucide et étendu, il était bon et amusant comme un enfant. Son rire joyeux retentit encore à mes oreilles, et de plus…

« Il éclairait comme la lampe nocturne qui brûle devant le sanctuaire du Bien… »

C’est ainsi que s’exprimait sur son compte un brave poëte, à moitié fou, qui faisait partie de notre cercle.

— Et comment parlait-il ? demanda de nouveau Alexandra.

— Il parlait bien quand l’inspiration lui venait, mais non d’une manière surprenante. Roudine était déjà alors vingt fois plus éloquent que lui.

Lejnieff s’arrêta et se croisa les bras, puis il reprit :

Pokorsky et Roudine ne se ressemblaient guère. Roudine avait beaucoup plus de brio et d’éclat, plus de phrases à sa disposition, et, si vous le voulez, plus d’enthousiasme. Il semblait beaucoup mieux doué que Pokorsky, mais de fait c’était un bien pauvre sire en comparaison de ce dernier. Roudine développait admirablement la première idée venue et discutait à merveille, mais ses idées ne naissaient pas dans son propre cerveau, il les prenait à tout le monde et particulièrement à Pokorsky. À en juger sur les apparences, Pokorsky était flegmatique, sans énergie, faible même. — Il adorait les femmes à la folie, il aimait le plaisir, mais il n’eût enduré aucune insulte de personne. Roudine paraissait plein de feu, de hardiesse