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— Cette impertinence, croyez-le, est un très-grand compliment.

Volinzoff était entré et regardait sa sœur et Lejnieff d’un air soupçonneux. Il avait maigri depuis quelques semaines. Alexandra et Lejnieff voulurent causer avec lui, mais il répondait à peine par un sourire à leurs plaisanteries. Il avait la mine d’un « lièvre mélancolique », comme le dit un soir Pigassoff en parlant de lui. Volinzoff sentait que Natalie lui échappait, et il lui semblait en même temps que la terre fuyait sous ses pieds.


VIII


Le lendemain, qui était un dimanche, Natalie se leva un peu tard. Elle avait été très-silencieuse la veille ; ses larmes lui faisaient secrètement honte, et elle avait mal dormi. Assise à demi vêtue devant son petit piano, elle resta longtemps immobile, effleurant parfois les touches de l’instrument, mais assez doucement pour ne pas réveiller mademoiselle Boncourt ; ou bien, appuyant son front sur l’ivoire glacé du clavier, elle se livrait tout entière à sa rêverie, ne songeant pas tant à Roudine lui-même qu’à certaines paroles qu’il avait prononcées. Volinzoff se présentait parfois à son souvenir. Elle s’avouait qu’il l’aimait ; mais elle l’éloignait aussitôt de sa pensée. Elle se sentait prise d’une agitation étrange. Elle s’habilla à la