Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/125

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ne dit mot. Roudine lui jeta un coup d’œil à la dérobée, mais sans soutenir le regard de son rival ; il se détourna, sourit et n’ouvrit plus la bouche.

— Eh ! eh ! toi aussi tu as les oreilles courtes, pensa Pigassoff.

Natalie se sentait défaillir de peur. Daria regarda longtemps Volinzoff d’un air surpris, et fut la première à reprendre la conversation.

Elle entama un récit à propos d’un chien extraordinaire qui appartenait à son ami le ministre N*** N***.

Volinzoff se retira peu de temps après le dîner. En saluant Natalie, il ne put s’empêcher de lui dire : — Pourquoi avez-vous la contenance troublée d’un coupable ? Vous ne pouvez être coupable vis-à-vis de personne…

Natalie n’avait rien compris, et l’avait seulement suivi des yeux. Roudine s’approcha d’elle avant le thé, et, se penchant sur la table comme s’il parcourait le journal, lui dit à demi-voix : « Tout cela ressemble à un rêve, n’est-ce pas ? Il est indispensable que je vous voie seule… ne fût-ce que pour un instant. » — Il se retourna vers mademoiselle Boncourt : « Voici le feuilleton que vous cherchiez », lui dit-il, — puis, se penchant de nouveau vers Natalie, il continua toujours à voix basse : « Tâchez d’être vers dix heures auprès de la terrasse… dans le bosquet de lilas. Je vous y attendrai… »

Pigassoff fut le héros de la soirée. Roudine lui avait abandonné le champ de bataille. Il commença d’abord