Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/189

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paroles de Roudine ne pouvaient agir sur ses semblables, mais je parlais alors d’hommes parvenus comme moi à un âge où la vie a déjà émoussé la sensibilité, où la raison est devenue plus difficile à satisfaire. Il vient un temps où une seule fausse note suffit pour détruire à notre oreille toute l’harmonie du plus beau morceau de musique, mais, par bonheur pour la jeunesse, elle a l’ouïe moins délicate et surtout moins blasée. Si l’idée qu’on lui présente lui paraît noble, peu lui importe le ton. C’est en elle-même que la jeunesse trouve ce ton.

— Bravo ! bravo ! s’écria Bassistoff. Voilà ce qui s’appelle parler avec justice ! Quant à l’influence de Roudine, cet homme, je vous le jure, n’a pas seulement la puissance de vous émouvoir, il vous pousse en avant, il vous empêche de vous arrêter, il vous retourne de fond en comble, il vous incendie.

— Vous entendez, continua Lejnieff en se tournant vers Pigassoff, qu’avez-vous encore besoin de preuves ? Vous attaquez la philosophie, vous ne pouvez trouver assez de paroles pour la flétrir. Moi-même je l’apprécie peu et la comprends peut-être encore moins, mais ce n’est pas de la philosophie que viennent nos plus grandes infortunes. Ses subtilités n’auront jamais de prise sur nos âmes. Nous avons, Dieu merci ! nous autres Russes, trop de bon sens pour cela. Cependant, il ne faut pas non plus se servir du prétexte de la philosophie pour tomber sur chaque honnête aspiration vers la science et la vérité. Ce qui