Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/205

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et qu’il dût se contenter de remuer les yeux avec expression en secouant la tête d’un air significatif chaque fois qu’on énonçait une idée devant lui. Je n’ai jamais rencontré de nature plus pauvre et plus nulle que la sienne. Elle rappelait ces terrains si nombreux dans le gouvernement de Smolensk, où l’on ne trouve que du sable, encore du sable, et à peine un brin d’herbe, que du reste aucun animal ne se soucie de brouter. Rien ne prospérait entre ses mains, tout semblait tourner contre lui. Il avait la manie de rendre pénibles les choses les plus faciles et un singulier talent pour compliquer les questions les plus simples. Si cela n’avait dépendu que de lui, il aurait trouvé moyen, sois-en sûr, de vous faire manger avec les pieds. Il travaillait, écrivait et lisait sans fin comme sans profit. Il s’adonnait à l’étude avec une certaine persévérance opiniâtre, avec une patience effrayante ; son amour-propre était sans bornes et son caractère était de fer. Il vivait seul et passait pour un original. Je fis sa connaissance et je lui plus. J’avoue que je le devinai bien vite, mais son zèle me touchait. Puis il possédait de si grandes ressources, on pouvait faire tant de bien par lui, rendre de si réels services… Bref, je m’établis chez lui et le suivis plus tard dans ses terres. Mes projets étaient immenses, mon ami ; je rêvais des perfectionnements, des innovations…

— Comme chez les Lassounski, t’en souvient-il ? interrompit Lejnieff avec un sourire bienveillant.

— Nullement. Je savais alors en conscience que mes