Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/247

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

verte. Une légère petite brise voltigeait autour de nous à travers les troncs blanchâtres des bouleaux, et me jetait parfois le ruban du chapeau de Lise au visage. Je suivais obstinément son regard jusqu’au moment où elle se tournait enfin gaiement vers moi, et nous nous mettions à nous sourire l’un à l’autre. Les oiseaux semblaient nous gazouiller leur approbation, le ciel bleu nous contemplait avec tendresse à travers le feuillage menu et transparent. L’excès du bonheur me donnait le vertige. Je me hâte de faire observer que Lise n’était aucunement éprise de moi. Je lui plaisais, elle n’était pas sauvage de nature ; mais ce n’est pas à moi qu’il était donné de troubler sa placidité enfantine. Elle se suspendait à mon bras comme à celui d’un frère. Elle venait d’entrer dans sa dix-septième année… Et cependant ce soir-là même commença devant moi cette douce fermentation intérieure qui précède la transformation de la jeune fille en femme… Je fus témoin de cette transfiguration, de cette incertitude innocente, de cette méditation inquiète ; je fus le premier à remarquer cette subite mollesse du regard, cette inégalité dans les sons de la voix, et, ô pauvre niais ! homme de trop sur la terre ! je n’eus pas honte de supposer pendant toute une semaine que j’étais, moi, la cause de ce changement !…

Il y avait longtemps que nous nous promenions ; le soir était venu, nous nous parlions peu. Je me taisais, comme le font tous les amoureux qui ont peu