Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/253

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de jour en jour. Je le répète, Je m’étais expliqué ce changement de la manière la plus flatteuse pour moi… Le malheur des gens solitaires et timides, – timides par amour-propre, – consiste en ce que tout en ayant des yeux, en les écarquillant même, ils voient tout sous un aspect faux, comme s’ils regardaient à travers des lunettes de couleur. Leurs propres pensées et leurs propres observations les troublent à chaque pas. Aux premiers jours de notre liaison, Lise était libre et confiante avec moi comme un enfant, il est même possible qu’il y eût dans cette manière d’être quelque inclination naïve… Mais lorsque s’accomplit cette crise étrange et presque instantanée, elle se sentit, après une courte incertitude, gênée en ma présence ; elle me fuyait involontairement et se montrait en même temps triste et rêveuse… Elle attendait… Qu’attendait-elle ? Elle n’en savait rien elle-même, … et moi, … moi, j’étais heureux de ce changement… Je suis prêt à convenir d’ailleurs que tout autre aurait pu s’y tromper à ma place, car qui donc est sans amour-propre ? Il est inutile de dire que tout cela ne devint clair pour moi que dans les derniers temps, lorsque je fus enfin obligé de replier mes ailes froissées, ces ailes qui ne m’auraient jamais porté ni haut ni loin.

Ce malentendu entre Lise et moi dura toute une semaine, et il n’y a là rien d’étonnant : il m’est arrivé d’être témoin de malentendus qui ont duré des années. Quel est celui qui ose dire que la vérité seule est