Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

assez remarquables dans leur genre. Ce n’était pas un renard seul qui me dévorait les entrailles : la jalousie, l’envie, le sentiment de ma nullité, une méchanceté impuissante, me déchiraient tour à tour. Je ne pouvais m’empêcher de reconnaître que le prince était réellement fort aimable… Je le dévorais des yeux, et je crois même que j’oubliai mon clignement habituel en le regardant. Il ne s’entretenait pas uniquement avec Lise, mais tout ce qu’il disait s’adressait à elle seule. Je devais certes l’ennuyer affreusement… Je suppose qu’il devina bientôt qu’il avait affaire à un amoureux éconduit, et que ce fut par compassion sans doute et aussi par une profonde conviction de ma parfaite innocuité qu’il se montra si affable avec moi. Vous pouvez vous imaginer combien je me sentais blessé !

Je… – ne vous moquez pas de moi, qui que vous soyez, sous les yeux duquel seront tombées ces lignes, d’autant plus que ce furent là mes derniers rêves, – je me figurai tout à coup, au milieu de mes angoisses, que Lise voulait me punir pour la froideur présomptueuse que j’avais montrée au commencement de ma visite, qu’elle était irritée contre moi, et que le dépit seul la portait à faire la coquette avec le prince. Je saisis un moment favorable pour m’approcher d’elle, et je balbutiai avec un sourire à la fois soumis et tendre : « Assez ; pardonnez-moi… Du reste, ce n’est pas que je craigne… » Et, sans attendre sa réponse, je donnai tout à coup à mon visage une expression vive et dégagée qui ne lui était nullement habituelle, puis