Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/283

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barrière, répliqua en souriant : « Le duel est fini », – et tira en l’air. Je manquai pleurer de dépit et de rage. Cet homme me traînait définitivement dans la boue avec sa générosité, il m’égorgeait. Je voulais me récrier, je voulais insister pour qu’il tirât sur moi, mais il s’approcha et me tendit la main.

– Tout est oublié, n’est-ce pas ? me dit-il d’une voix caressante.

Je jetai un regard rapide sur son visage altéré, sur son mouchoir teint de sang, et, complètement éperdu, honteux et anéanti, je lui serrai la main…

– Messieurs, reprit-il en se tournant vers les témoins, j’espère que ceci restera secret ?

– Naturellement ! s’écria Koloberdaef ; mais permettez, prince… Et il lui pansa sa blessure.

Le prince me salua encore une fois en partant, mais Besmionkof ne me regarda même pas.

– Tué, moralement ! dis-je à Koloberdaef en rentrant à la maison.

– Qu’est-ce donc qui vous tourmente ? me demanda le capitaine. Tranquillisez-vous, la blessure n’est pas dangereuse ; demain il pourra danser, s’il en a envie. Ou bien seriez-vous fâché de ne pas l’avoir tué ? S’il en est ainsi, vous avez tort : c’est un charmant garçon !

– Pourquoi m’a-t-il ménagé ? grommelai-je enfin.

– Voilà encore une belle idée ! répliqua tranquillement le capitaine. C’est bien digne d’un littérateur ! –