Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/286

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non, le rire accompagne les larmes, non seulement jusqu’à la fin, jusqu’à l’épuisement, jusqu’à l’impossibilité d’en répandre davantage, oh ! le malheur ! il retentit encore et résonne là où la langue devient muette, où la plainte elle-même commence à s’éteindre… C’est pourquoi, ne voulant point paraître ridicule même à mes propres yeux, et me sentant d’ailleurs terriblement fatigué aujourd’hui, je vais remettre à demain la continuation et, si Dieu le permet, la fin de mon journal…



29 mars. – Gelée insignifiante. Il dégelait hier.

Je n’ai pas eu hier la force de continuer mon journal. J’ai passé la plus grande partie de mon temps au lit à causer avec Térence.

Voilà une femme ! Il y a soixante ans qu’elle a perdu son premier fiancé de la peste, elle a survécu à tous ses enfants, elle est d’une vieillesse qu’on ne se permet plus ; elle boit du thé à cœur joie, elle mange à satiété, elle est chaudement vêtue, et de quoi pensez-vous qu’elle m’ait entretenu pendant toute la journée ? J’ai fait cadeau à une autre vieille, absolument dépourvue de tout, du col à moitié mangé par les mites d’une ancienne livrée dont elle va se faire un de ces plastrons qu’elle porte en guise de gilet… Pourquoi ne le lui avais-je pas donné à elle, Térence ? « Il me semble que je suis votre bonne… Ah ! c’est bien mal à vous, mon petit père… Je crois vous avoir bien