Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/296

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quand on l’engageait à manger, ne donnant aucun signe extérieur d’affliction ; mais il était facile de voir qu’elle fondait comme la cire au feu. Il faut rendre justice à Cyril Matvéitch : il la ménageait tant qu’il pouvait. La vieille mère ne faisait que gémir lorsqu’elle regardait sa pauvre enfant. Il y avait un seul être que Lise n’évitait pas, quoiqu’elle ne causât guère avec lui : c’était Besmionkof. Les vieux Ojoguine le recevaient avec une froideur qui ressemblait à de la grossièreté : ils ne pouvaient lui pardonner d’avoir servi de témoin au prince ; mais Besmionkof continuait d’aller chez eux, et semblait ne pas s’apercevoir de leur malveillance. Il était très froid avec moi, – et, chose étrange ! je le craignais presque. Tout cela dura environ quinze jours. À la suite d’une nuit sans sommeil, je m’étais enfin décidé à demander une explication à Lise, à lui découvrir mon cœur, à lui dire que, malgré le passé, malgré tous les bavardages, je me sentirais encore heureux, si elle me trouvait digne d’elle et voulait me rendre sa confiance. Je m’imaginais de bonne foi offrir l’exemple du désintéressement le plus sublime, et croyais que la surprise seule suffirait pour l’amener à donner son consentement. Je voulais, dans tous les cas, avoir une explication avec elle, afin de pouvoir sortir enfin de cette incertitude.

Derrière la maison des Ojoguine s’étendait un jardin d’assez grande dimension, terminé par un bois de bouleaux abandonné et touffu. Une ancienne tonnelle